Le château de Chantilly a été profondément marqué par un homme : Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897), qui n’a eu de cesse tout au long de sa vie de rendre hommage aux richesses du lieu ainsi qu’à ses illustres prédécesseurs, notamment les Montmorency et les princes de Condé.
Cinquième fils de Louis-Philippe, roi des Français, le duc d'Aumale est en 1843, à vingt et un ans, un jeune général auquel la prise de la smala d'Abd el-Kader, en Algérie, laisse entrevoir un destin national. Cinq ans plus tard, son élan se brise net sur les barricades parisiennes. Contraint à l'exil avec sa famille et ses partisans, le duc fustige moins la République que Napoléon III. Assumant sans complexe l'héritage de l'Ancien Régime comme de 1789, il est alors un libéral qui combat l'Empire sans combattre la France, depuis sa demeure anglaise d'Orleans House.
À sa disparition, en 1897, l'œuvre qu'il laisse n'est pas politique. Rentré d'exil, le duc a déçu les espoirs des monarchistes. L'expatriation, la mort de ses fils, sa radiation des cadres de l'armée ont pu décourager son "idée de la France": fière de son passé, confiante en l'avenir. Mais il savait qu'il lèguerait un trésor: le manuscrit enluminé des Très Riches Heures du duc de Berry, des toiles de Raphaël, de Poussin, de Watteau, des dessins de Clouet, entre autres œuvres passionnément amassées au château de Chantilly, et qui font du Musée Condé, la deuxième plus grande collection d'art français après celle du Louvre.
Le Duc d'Aumale - L'étonnant destin d'un prince collectionneur - Eric Woerth
Aumale, avec sagesse, a voulu que son domaine de Chantilly, le parc, le château, la fabuleuse collection de peintures et de livres, ne soit pas dispersé, et qu'il échappe aux avatars de l'actualité. En lèguant à l'Institut de France en 1886, il a su protéger. Dans son testament, il écrivit ces mots magnifiques:
Voulant conserver à la France le domaine de Chantilly dans son intégrité avec ses bois, ses pelouses, ses eaux, ses édifices et tout ce qu'ils contiennent, trophées, tableaux, livres, archives, objets d'art français dans toutes ses branches et de l'histoire de ma patrie à des époques de gloire, j'ai résolu d'en confier le dépôt à un corps illustre qui m'a fait l'honneur de m'appeler dans ses rangs à un double titre, et qui, sans se soustraire aux transformations inévitables des sociétés, échappe à l'esprit de faction comme aux secousses trop brusques, conservant son indépendance au milieu des fluctuations politiques.
Le duc d'Aumale incarne les valeurs qui rendent les Français fiers de la France. Indépendance, autorité, loyauté, passion sont les traits saillants de son caractère. Dans un monde incertain, dans une Europe qui se cherche, dans une nation qui doute trop d'elle-même, la figure du duc d'Aumale est le reflet exact de la "permanence de la France".
Alain Decaux, de l'Académie française (1925 - 2016)
En l’an mille, le château de Chantilly n’existait pas et la forêt était réduite à de petits boqueteaux.
Ce sont les princes successifs de Chantilly qui ont planté, créé, développé, entretenu la forêt, principalement pour y chasser : la forêt compte 700 Ha du temps des Orgemont. Anne de Montmorency double sa surface et le Grand Condé poursuit les acquisitions. Lors de la venue de Louis XIV à Chantilly, en 1671, la forêt atteint 2 700 Ha. C’est alors le premier chantier d’André Le Nôtre : il crée des grands carrefours en étoile qui existent toujours ainsi que de belles et grandes allées. Quand éclate la Révolution, la forêt mesure 5 000 Ha. C’est dire que la forêt et les châteaux successifs s’édifient à l’unisson pour constituer un même ensemble patrimonial.
Puis vint le duc d’Aumale. A son tour, il s’attache, à la suite de ses prédécesseurs, à poursuivre les agrandissements. Mais il se préoccupe surtout de bien gérer sa forêt. Comme dans tous les domaines, il s’entoure des meilleurs conseils venus, notamment, de la nouvelle école forestière de Nancy, créée en 1824. C’est sous son impulsion qu’Aumale va modifier profondément la gestion de sa forêt.
Jusqu’à ce tournant, la pratique à Chantilly, comme dans la plupart des forêts françaises, était celle du « taillis sous futaie » : tous les 20 ans le taillis – la partie « basse » - était coupée pour fournir du bois de chauffage et du charbon de bois lequel faisait fonctionner les fonderies industrielles. En 1860, un tiers de la fonte était produite dans les hauts fourneaux fonctionnant au charbon de bois. Et la houille, provenant majoritairement de Grande Bretagne, remplace progressivement le charbon de bois. L’exploitation par « taillis sous futaie » est donc remise en cause même si elle avait le grand avantage de produire un revenu régulier. Mais elle avait aussi l’inconvénient de ne pas privilégier le développement de belles futaies peuplées de grands et beaux arbres, notamment de beaux chênes et de belles pièces de bois pour la construction et la fabrication très exigeante de tonneaux. Dans les taillis subsistaient quelques rares et beaux sujets, les « réserves », souvent coupés et vendus autour de 80 ans, avant leur maturité complète.
Le duc d’Aumale prend bien conscience de l’évolution nécessaire. Il s’appuie sur des responsables de qualité formés aux pratiques modernes. Il allonge le cycle de coupe des taillis, augmente le nombre des « réserves » en sélectionnant beaucoup plus de jeunes arbres d’avenir qui feront de grands arbres destinés à la production de bois d’œuvre. Il crée une pépinière et implante des résineux là où le sol est trop pauvre et peu épais pour des arbres feuillus de qualité. Et il nous lègue une magnifique forêt de 6 300 Ha !
En bref Aumale fait pour la forêt ce qu’il fait dans tous les domaines : une gestion de grande qualité, faisant appel aux techniques les plus modernes et aux meilleurs spécialistes de son temps. Et il marque l’intérêt primordial qu’il attache à la forêt en demandant, dans son testament, qu’elle soit inaliénable c’est-à-dire indéfiniment attaché au Château comme un patrimoine unique, indissociable.
Les beaux grands arbres de notre forêt sont, pour la plupart, le fruit de cette bonne gestion.
Le réchauffement met, aujourd’hui, tout le massif forestier en danger. Il nous appartient de nous adapter et de suivre l’exemple du duc d’Aumale : faire appel aux meilleurs scientifiques et forestiers d’aujourd’hui pour sauver notre forêt et la conserver vivante au moins pour les 50 ans à venir. Le processus de sauvetage est bien engagé mais le succès dépend aussi de votre soutien.
M. Jérôme Millet, Général de corps d'armée (2S)
Membre du collectif "Ensemble, sauvons la forêt de Chantilly"
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